Depuis peu, la police de Port-Vendres, dans les Pyrénées-Orientales, commune labellisée Ville prudente, propose une expérience inédite aux enfants et collégiens de la ville : passer une journée dans la vie d’un policier municipal. Un moyen original de transmettre (durablement ?) les bons réflexes.
La demande est d’abord venue du Conseil municipal des jeunes. « Ils nous ont réclamé des animations sur la sécurité routière, se souvient Damien Compagne, responsable de la police municipale de Port-Vendres. Les jeunes nous ont dit qu’ils adoraient découvrir le matériel, les caméras, les radars, visiter le poste… Alors j’ai imaginé une sorte de ” Vis ma Vie de policier “, où on emmène les enfants sur le terrain : ils font le stationnement, corrigent les incivilités, etc. ».
Voilà comment une partie des jeunes de Port-Vendres s’amuse à mettre des amendes à leurs aînés conducteurs, une fois par an. « On pense qu’ils portent un peu le message à leurs parents », poursuit M. Compagne. « Ce sont eux qui disent “attention, tu te gares là, c’est pas bien ! ” ou “mets ta ceinture” en voiture. Ce sont eux aussi qui font circuler leur expérience vers leurs camarades. Par exemple, au dernier Conseil des jeunes, ils ont proposé eux-mêmes d’utiliser telle somme disponible pour construire un rack à vélos dans une école pour que les enfants viennent en pédalant plutôt qu’en voiture. Ils sont un bon relai de transmission. »
Modifier la norme sociale en s’appuyant sur les enfants
En général, la transmission se fait plutôt dans l’autre sens. De l’adulte vers l’enfant, s’entend. À ce jour, il n’existe aucune donnée scientifique pour mesurer l’amplitude de l’effet inverse : l’impact réel de la transmission de l’enfant vers l’adulte (parent, enseignant, moniteur…).
En revanche, on peut envisager l’influence des enfants comme une modification subtile de la norme sociale. C’est l’une des réflexions proposées par le docteur en psychologie de l’enfant, Jean-Pascal Assailly, auteur entre autres de l’essai Homo Automobilis (disponible en téléchargement ici). « Mettons que le contrôle-sanction soit toujours opéré par des policiers. Le conducteur associe ce contrôle et la sécurité au métier de policier, à la loi. Mais quand des enfants les accompagnent, ça met dans la tête des conducteurs que d’autres gens sont aussi défavorables à la mauvaise conduite. C’est ce qu’on appelle la norme sociale. »
Un exemple de réussite du changement de norme sociale ? La cigarette : « même un fumeur n’aurait plus du tout envie de fumer dans le métro aujourd’hui, ou au restaurant. Une fois que la norme a changé, le comportement change durablement. »
Le chercheur rappelle que cette prise de conscience nous vient des Scandinaves (champions de la sécurité routière), qui ont comparé dès le début du XXe siècle les normes du comportement sur la route à une fusée à 3 étages.
- Le premier étage, c’est la sanction. On modifie son comportement par peur du radar et de l’amende.
- Au deuxième étage, la loi s’intériorise dans une norme de groupe. On tient compte de l’avis des autres (proches, amis, collègues) qui commencent à s’intéresser à notre comportement sur la route… et à le déconsidérer.
- Au troisième étage, on a intériorisé la loi comme une norme individuelle. La réflexion devient alors « même si c’était autorisé, je ne le ferais pas ». C’est l’exemple du fumeur du métro : la norme sociale a modifié le comportement de chacun, il n’y a plus besoin de répression.
« Le processus peut être long, prendre des années, mais la fusée finit par atterrir ». Notamment avec une petite poussée de la jeunesse au deuxième étage…
Des résultats visibles
Par ailleurs, la mairie de Port-Vendres mène aujourd’hui une politique de sécurité routière ambitieuse. En témoigne par exemple la réduction de la vitesse à 30 km/h dans toute l’enceinte de la ville. Résultats combinés de cette mesure et – peut-être – de l’implication de la jeunesse dans la rééducation routière ? Port-Vendres n’a connu, à l’heure où nous écrivons ces lignes, aucun accident mortel ni blessés sur la route depuis un an et-demi.
Damien Compagne se félicite déjà du changement. « Aujourd’hui, quand on installe des agents avec un radar, on capte des conducteurs qui conduisent au maximum à 32 ou 33 km/h. C’est tout ! On peut dire qu’on a gagné. ». Conséquence doublement positive : « il ne nous reste plus qu’à faire de la communication, plutôt que de la sanction ». On approche du troisième étage de la fusée ?