La tendance en matière d’aménagement urbain est à la mobilité douce. À la piétonnisation autour des écoles, au centre-ville sans voiture. Mais, dans certaines villes, on teste encore le dispositif inspiré du « kiss and go » à l’américaine, le dépose-minute directement devant l’école, ouvert aux heures d’entrée et de sortie scolaire. Bonne idée ou fausse solution pratique ?
A l’école en voiture
Les trois quarts des enfants français (moins de 10 ans) arrivent à l’école en voiture. C’était le résultat d’une enquête pour la campagne « Rue Tom et Lila » de l’association Prévention Routière en 2011. Si « le mouvement inverse s’est accentué depuis le Covid », d’après Christophe Ramond, directeur des études de l’association Prévention Routière, la voiture jusqu’à l’école est encore un réflexe. Et ce n’est (sans doute) pas seulement parce que les Français « adorent la bagnole ».
L’argument pratique revient toujours en tête de liste : « j’ai un autre trajet à faire ensuite », « je file au bureau », « c’est plus rapide ». Or, la rapidité est un argument de plus en plus douteux, note Christophe Ramond. « On veut réduire la circulation aux heures de pointe. Donc on pense que le dépose-minute devant l’école est une solution pour réguler ce phénomène, qu’il restera de la fluidité dans la rue. Le problème, c’est que la rentrée des classes est autour de 8h20-30. Donc tout le monde arrive à cette heure et il faut faire ça en 10 minutes. Il y a la queue devant l’école, la file de voitures va bien après la rue, on rajoute de l’encombrement, du stress… ». Bref. On obtient le résultat inverse de l’effet recherché.
Qui dit stress au volant dit aussi comportement dangereux. Demi-tours au mauvais endroit, stationnement en double file, descente des enfants au milieu de la rue, non-respect des interdictions (on « grille le Stop », plus facilement)… Une étude canadienne de 2019 souligne que c’est là le risque principal (sur la route) aux abords des écoles. La congestion crée le danger, les parents s’inquiètent, qui ne veulent donc pas laisser leurs enfants marcher vers l’école et préfèrent… les déposer en voiture, pour plus de sécurité. Le cercle vicieux.
Imiter le drive américain ?
Pour éviter la conduite et le stationnement erratiques de dernière minute, certaines villes testent pourtant quand même un système de dépose-minute juste devant l’école ou à proximité immédiate, comme à Orsay (école Mondétour).
Il s’agit bien sûr de concilier au mieux la demande des administrés qui sont à la fois parents et piétons.
La pratique s’inspire du « kiss and go », cette forme de « drive » étatsunienne où les parents s’arrêtent quelques secondes pour déposer ou récupérer leurs enfants. Pratique justifiée en partie par la géographie étendue du pays et le manque de transports urbains, qui maintiennent la culture du « tout-voiture ».
« Chez nous, l’idée du « drive » est de rassurer les parents, comprend Christophe Ramond. On s’imagine mettre de l’ordre dans la circulation. Mais on vient surtout pérenniser la pratique de l’automobile, ce qui va à l’inverse des aménagements autour des écoles aujourd’hui. » Et de l’urbanisme français.
Psychologie de l’enfant et temps de qualité
Du reste, la pratique du « kiss and go » oblige aussi à des rapports condensés, à l’arrivée comme à la sortie de l’école. Or, la petite enfance (la plus concernée par ces trajets accompagnés) commence justement à construire sa notion de temps et d’identité autour de 4-5 ans. C’est là qu’apparaissent les premiers récits du quotidien, les premières histoires du « moi », où l’enfant commence à pouvoir revivre sa journée en récit.
Si la psychologue Héloïse Junier rappelle qu’il est illusoire de vouloir tout savoir de sa journée dès qu’on récupère l’enfant à l’école, elle insiste aussi sur la temporalité des plus petits, bien différente de celle des adultes. Le « hier » et le « maintenant » sont encore flous à ces âges, il faut du temps au récit pour se construire. Et de la patience au parent pour recevoir une histoire… qui ne se raconte donc pas en quelques minutes de trajet automobile.
« Beaucoup de parents se disent qu’ils ne peuvent pas, que ça ne fonctionnera pas pour eux, pas avec leur emploi du temps », sourit Christophe Ramond. « Mais quand ils testent, ils changent d’avis. Ils se rendent compte qu’ils ne perdent pas de temps, finalement, même en faisant le trajet à pied. C’est un autre temps, un temps de qualité, où on redécouvre son quartier, on se met à hauteur d’enfant, on leur apprend l’autonomie, on les écoute… C’est un service à leur rendre. »
Et si on tentant plutôt le pedibus ?
Le Kiss and go affiche donc beaucoup d’inconvénients et finalement peu d’avantages. En outre, la tendance en France est aux mobilités douces, aux zones 30km/h voire au « zéro voiture ». «Il y a une obligation des collectivités locales de favoriser les déplacements piétons ou cyclistes vers l’école ».
L’alternative très puissante, c’est le pédibus. Le transport collectif piéton, accompagné par un parent d’élève ou un bénévole, et organisé par la communauté de parents – parfois avec l’appui de la ville. Une façon de créer du lien dans le quartier, de responsabiliser les enfants sur la route, de pratiquer une activité sportive et de sécuriser les arrivées autour de l’école. La liste argumentaire est longue, sans compter le bonus d’impact environnemental, en éliminant une partie des émissions liées au trafic.
D’autres modèles d’aménagement et de mobilités à l’étude pourraient s’appliquer à la problématique scolaire. Comme des zones de stationnement temporaire ouvertes seulement aux heures de rentrée et sortie des classes, mais plus loin en ville. « En Île de France, par exemple, on incite les riverains à venir sans voiture jusqu’à 500m autour des gares. Pas plus près. La même logique (marche à pieds ou mobilité douce entre les deux) fait sens pour l’école également. »
Rendre une ville prudente est donc aussi, sur ce type d’approche, transformer la perception du temps dans sa commune. Et aider à sortir du stress endémique.